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La gestion des risques et la Prévention

13 novembre 2018

Dans la vie comme au travail, qu’on en soit conscient ou non, nous sommes appelés à faire de la gestion de risques.  Au moment de traverser une rue à pied, de circuler en voiture, d’effectuer une réparation à la maison ou de commencer une tâche, nous estimons le niveau de risque, parfois même sans nous en rendre compte, et nous ajustons notre comportement en conséquence.

Dans un article précédent (1), nous avons présenté la gestion des risques comme un processus générique à plusieurs étapes, inspiré de la norme CSA 31000 (2).  Ce processus s’applique à la gestion de toutes sortes de risques : risques financiers, risques d’affaires, risques d’atteintes à la réputation, risques environnementaux, et bien d’autres encore.  Cela inclut évidemment les risques d’atteintes à la santé et à la sécurité des personnes (SST) et les risques de dommages à la propriété, tels que dommages accidentels et incendies, par exemple.  Et de fait, les applications spécifiques à la SST du processus sont nombreuses et, en général, assez bien connues.  Le présent article vise donc à dresser le parallèle entre le processus de gestion des risques d’une part et la prévention des lésions professionnelles d’autre part.

 

Un parallèle évident

 Pour ce faire, le Tableau 1 reprend les étapes du processus; pour chaque étape il présente les principales activités de la démarche de prévention qui y correspondent.  De plus, il identifie les composantes du système de gestion de la santé et de la sécurité au travail (SGSST) tel que préconisé par la norme CSA Z1000 (3) qui sont équivalentes aux étapes du processus de gestion des risques et des activités de prévention afférentes.

Avant d’entrer dans le détail, toutefois, deux précisions s’imposent.  Premièrement, l’étape appelée Démarrage n’est pas reprise ici; il s’agit essentiellement d’une démarche de planification assez standard, et il est pris pour acquis dans la plupart des cas la démarche préventive a fait l’objet d’une certaine planification, au moins sommaire.  Deuxièmement, pour fins de simplification les étapes Estimation et Évaluation des risques ont été combinées dans le tableau.

 

Tableau 1

Parallèle entre le processus de gestion des risques et les activités de prévention des lésions professionnelles

 

Étape du processus de gestion des risques

(CSA 31000)

Activités de prévention

Composante du SGSST (CSA Z1000)

Identification préliminaire des dangers

Inspections des lieux

Observations préventives

Mesures de contaminants

Utilisation des données historiques (statistiques, rapports, etc.)

Planification

·      Revue

·      Exigences juridiques et autres

·      Identification et appréciation des phénomènes dangereux et des risques

·      Objectifs et cibles en matière de santé et de sécurité au travail

Identification détaillée des dangers

Analyses de tâches

Analyses de postes

Analyses ergonomiques

Études approfondies d’hygiène/cartographies

Estimation et évaluation du risque

Vérification de la conformité aux exigences légales et réglementaires

Estimation de la gravité potentielle et de la probabilité d’accidents

Calcul de l’indice de risque

Caractérisation de l’exposition aux contaminants

Comparaisons aux normes d’exposition

Détermination des priorités d’action

Contrôle du risque

Mesures d’élimination du danger

·         Gestion du changement

·         Entretien préventif

·         Modifications de poste, d’équipement, d’outils, etc.

·         Substitution de produit

·         Etc.

Mesures d’atténuation du risque :

·         Protection collective

·         Protection individuelle

·         Mesures administratives (pauses, rotation)

·         Etc.

Mesures d’urgence

·         Premiers soins/premiers secours

·         Lutte contre l’incendie

·         Interventions d’urgence

·         Etc.

Mise en œuvre

·         Mesures de prévention et de protection

·         Prévention des sinistres et planification des mesures et des interventions d’urgence

·         Achats et contrats

·         Gestion du changement

Communication

Plan de communication et de consultation

Programme d’information

Programme de formation

Mise en œuvre

 

·         Compétence et formation

·         Communication et sensibilisation

 

Action/Suivi

Enquête et analyse des événements accidentels

Audits et auto-évaluations

Nouvelles vérifications (inspections, observations, mesures de contaminants)

Surveillance biologique

Épidémiologie

Évaluation et action corrective

 

·         Surveillance et mesure

·         Enquête sur les incidents et analyses afférentes

·         Audits internes

·         Actions préventives et correctives

Fermeture de boucle et amélioration continue

Revue de direction et amélioration continue

 

1. Planification

En matière de SST, l’identification préliminaire des dangers comporte un ensemble d’actions et d’activités qui ont pour but de vérifier la présence de facteurs de risque connus, de tous types : agresseurs physiques, chimiques, mécaniques et ainsi de suite.  Sans surprise on y retrouve donc les activités d’inspection et d’observation, ainsi que la panoplie des mesures dans le domaine de l’hygiène.  On se rappellera que l’implication des travailleurs dans ces démarches contribue au renforcement d’une culture de SST.  La présence de ces facteurs est connue soit parce qu’elle a déjà été constatée, soit parce qu’elle nous est rapportée par des données documentaires ou historiques, comme les statistiques ou les rapports d’expertise qui soulignent que leur présence est courante dans ce type de poste ou d’environnement.

Pour diverses raisons, la présence de certains facteurs de risque peut ne pas être connue ou apparente.  C’est pourquoi la démarche de gestion des risques prévoit la possibilité, voire même la nécessité, de procéder à une identification plus détaillée des dangers.  Selon les domaines concernés, cette identification détaillée prendra la forme d’un audit comptable pour les finances, ou d’une caractérisation de type Phase II en environnement, par exemple.  En SST, l’identification détaillée prend la forme d’analyses plus poussées qui vont au delà de ce qui est déjà connu ou apparent au premier regard; on pense particulièrement aux analyses ergonomiques, aux analyses de tâches ou de postes ou aux analyses détaillées en matière d’hygiène.  Encore une fois ici l’implication des travailleurs dans ces analyses représente un atout majeur.

Quand on met ensemble les résultats de l’identification préliminaire et de l’identification détaillée, typiquement on se retrouve avec une liste assez substantielle de dangers.  La longueur de cette liste a souvent un effet de découragement; les gens sont portés à se dire qu’ils n’en viendront jamais à bout.  Il devient toutefois rapidement évident que les dangers dans cette liste ne sont pas tous égaux, qu’ils ne représentent pas tous le même niveau de menace.  C’est pourquoi l’estimation et l’évaluation du risque constituent une étape primordiale de la gestion des risques.

Cette étape sert plusieurs fins dans le processus.  Premièrement, elle sert à identifier les risques considérés comme intolérables ou inacceptables, pour utiliser la terminologie de la norme CSA 31000.  Soit dit en passant, lorsque des risques sont considérés comme suffisamment importants pour faire l’objet de clauses légales ou réglementaires, ils sont de facto considérés comme inacceptables.  Deuxièmement l’indice de risque tel que calculé permettra de prioriser l’ordre dans lequel les risques devront être traités.  À son tour, dans un troisième temps cet ordre de priorité servira à cerner les mesures de prévention et de protection à mettre en œuvre et à déterminer les objectifs et cibles du programme de prévention qui les englobera.

L’ensemble des démarches d’identification des dangers et d’estimation et d’évaluation des risques constitue la phase de planification au sein du SGSST préconisé par la norme CSA Z1000.

 

2. Mise en œuvre

L’étape suivante consiste évidemment à éliminer les dangers ou à contrôler les risques, soit en minimisant la probabilité ou l’exposition, soit en atténuant les conséquences potentielles.  Dans le domaine de la SST, cette phase correspond bien sûr à toute la panoplie des mesures préventives et correctives bien connues.  Il serait trop long de les passer en revue d’une façon exhaustive, mais on se rappellera que la norme CSA Z1000, cohérente en cela avec plusieurs autres normes reconnues, préconise l’ordre d’importance suivant dans le choix des mesures de prévention et de protection :

  1. « L’élimination du phénomène dangereux », qu’on appelle aussi l’élimination à la source;
  2. « L’emploi de matériaux, de processus ou d’un équipement de substitution », c’est à dire le remplacement des éléments dangereux par des équivalents moins dangereux;
  3. « Le recours à des contrôles techniques »; les modifications d’équipements ou de procédés, ainsi que la protection collective, entre autres, appartiennent à cette catégorie;
  4. « L’utilisation de systèmes de travail plus sécuritaires qui permettent accroître la sensibilisation aux éventuels phénomènes dangereux (p. ex. voyants, écriteaux, avertisseurs, etc.) »; ces dispositifs n’éliminent pas le danger, ils ne font qu’avertir de leur présence; on réalise que le degré d’efficacité va progressivement en diminuant;
  5. « La prestation de contrôles administratifs tels que la formation et les procédures »; c’est le domaine des méthodes appropriées de travail qui servent à composer avec la présence du danger, à éviter le contact entre la personne et l’élément dangereux;
  6. « L’utilisation des équipements de protection individuelle, y compris les mesures assurant son utilisation et son entretien adéquats »; les ÉPI n’éliminent pas le danger, ils ne préviennent pas le déclenchement d’un événement accidentel, au mieux ils réussissent à en atténuer les conséquences; il s’agit donc ici du plus faible niveau de prévention.

Deux autres considérations importantes méritent une attention particulière ici.  Premièrement, parmi les mesures de prévention les plus efficaces, parce qu’elles ont pour but d’empêcher l’apparition même du danger sur les lieux de travail, il faut penser à intégrer des standards et critères de SST dans trois grandes fonctions de l’organisation :

  • La gestion des approvisionnements, pour ainsi éviter de « s’acheter du trouble »;
  • La gestion des sous-traitants, pour s’assurer que ceux-ci appliquent les mêmes standards de SST que ceux qu’on demande à nos propres employés de respecter; et
  • La gestion des changements importants aux infrastructures, aux équipements ou aux procédés, pour éviter de malencontreusement concevoir et installer des facteurs de risque.

Deuxièmement, il va sans dire que toutes ces meures de prévention doivent s’accompagner d’une bonne dose de communications et de formation.  Est-il nécessaire de rappeler encore une fois la nécessité d’impliquer les travailleurs dans tout ce processus?  Consultation, formation, information et communications ne suffisent pas à elles seules à prévenir les lésions professionnelles, mais elles sont des compléments indispensables à la mise en œuvre de toutes les mesures de prévention et de protection.

 

3. Évaluation et action corrective

Les mesures de prévention et de protection envisagées ont-elles été mises en place?  Fonctionnent-elles correctement?  Les processus qui les accompagnent, comme la formation et l’entretien, sont-ils adéquats?  Les événements accidentels qui surviennent et les lésions professionnelles qui apparaissent, s’il y en a encore, nous révèlent-ils des lacunes dans notre identification des dangers ou dans nos mesures de prévention?

Voilà autant de questions auxquelles la phase de suivi doit répondre.  Tous les efforts consentis jusque là risquent de s’avérer vains si on n’en vérifie pas l’utilité et l’efficacité, et si on n’y apporte pas les correctifs nécessaires le cas échéant.

Par contre, si les résultats sont tels qu’espérés, pourquoi ne pas dire merci à ceux qui ont produit ces résultats?  Ça ne coûte rien mais ça motive beaucoup.

 

4. Amélioration continue

Les entreprises de classe mondiale, celles qu’on cite en exemple partout, n’ont pas atteint leur niveau de performance instantanément.  Elles se sont graduellement améliorées, elles ont progressivement perfectionné leurs façons de faire au fil du temps.  C’est pourquoi tous les modèles, absolument tous les modèles de SGSST reposent sur une approche d’amélioration continue.  Le raisonnement est simple : à une extrémité le statu quo en SST est inacceptable, et à l’autre les excellents résultats ne peuvent pas être instantanés.  Entre les deux, il reste quoi?  L’amélioration graduelle, continue.

Une fois les principaux risques traités, on continue à descendre la liste des priorités basées sur les niveaux de risque.  Ça peut prendre du temps, mais progressivement il ne reste plus sur la liste que des choses routinières, des situations qui présentent de faibles niveaux de risque, soit parce que la probabilité de survenue est presque nulle, soit parc que les conséquences potentielles sont très faibles si un évènement survient.

Une fois rendu à ce niveau de performance, il serait tentant de baisser la garde et de croire que nos problèmes de SST sont résolus pour toujours.  Erreur.  Le destin a une imagination diabolique pour trouver des façons de nous faire la vie dure et pour semer des embuches sur notre parcours.  Il faut rester vigilants et s’assurer que nos mesures préventives et les processus de notre SGSST restent en place et fonctionnels.

 

Conclusion

Les normes et référentiels internationaux et nationaux parlent de systèmes de gestion de la SST (SGSST) ou de systèmes de management de la SST (SMSST).  Il y a un petit quelque chose d’inexact dans ces appellations.  En effet, aucun de ces systèmes ne fait référence à la gestion médico-administrative des dossiers de lésions professionnelles, ni à la gestion financière de la SST.  C’est donc dire que ce ne sont pas tous les volets de la gestion de la SST qui sont couverts.  Il serait plus exact de parler de systèmes de gestion ou de management des risques à la santé et à la sécurité au travail.  Cela devient particulièrement évident quand on examine les parallèles illustrés dans le Tableau 1.

Albert Einstein définit la folie (en anglais « insanity ») comme le fait de faire la même chose encore et encore et de s’attendre à des résultats différents.  Si on voit les choses sous cet angle, la gestion des risques en SST est donc le contraire de la folie.

ARTICLE PARU DANS LA REVUE TRAVAIL ET SANTÉ (SEPTEMBRE 2018)

Bibliographie

  1. Ruel, M. et Pérusse, M. (2017) La gestion des risques : un processus.  Travail et Santé, 33(1), pp 26-29.
  2. Association Canadienne de Normalisation (2015) Norme CAN/CSA-ISO 31000-10 Management du risque – Principes et lignes directrices.
  3. Association Canadienne de Normalisation (2006) Norme CSA Z1000-06 Gestion de la santé et de la sécurité au travail.

 

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